Résumé :

Alors que le manioc est l'aliment de base pour des centaines de millions de personnes en Afrique, sa culture est sérieusement entravée par la maladie de la mosaïque du manioc ou cassava mosaic disease
(CMD) en Afrique en général et à Madagascar. La CMD est causée par un complexe de géminivirus du manioc ou cassava mosaic geminiviruses (CMGs), et propagée par l'aleurode vecteur Bemisia tabaci et l'utilisation de boutures infectées. Les espèces de CMGs sont largement distribuées dans toute l'Afrique. La surveillance épidémiologique continue du manioc indique que certaines espèces de CMGs sont entrain d'étendre leurs aires de répartition géographique. Malgré l?importance de la CMD à Madagascar et sa description ancienne, les données épidémiologiques et moléculaires restent rares. Dans le cadre de cette thèse, nous avons cherché à (1) identifier les principaux facteurs épidémiologiques associés à la CMD, (2) déterminer la diversité génétique des CMGs et (3) inférer l'origine et le mode de diffusion des CMGs à Madagascar.
 
A partir des données et des échantillons de feuilles de manioc recueillies dans les principales régions productrices de manioc à Madagascar entre 2009 et 2011, nous avons analysé les facteurs épidémiologiques associés à la CMD. Les régions de basse altitude (0‐200m) sont les plus touchées avec une prévalence de la CMD et une abondance de B. tabaci plus élevées. Six espèces de CMGs ont été diagnostiqués avec l?African cassava mosaic virus (ACMV), l?East African cassava mosaic Cameroon virus (EACMCV), l?East African cassava mosaic Kenya virus (EACMKV), l?East African cassava mosaic virus (EACMV), le South African cassava mosaic virus (SACMV) et une nouvelle espèce virale nommée Cassava mosaic Madagascar virus (CMMGV). Alors que l'ACMV et le SACMV sont les espèces les plus communes, 21% des échantillons testés ont présenté une infection mixte de deux à quatre espèces de CMGs avec des symptômes plus sévères. Des répartitions géographiques distinctes ont été observées pour les six espèces. L?ACMV est plus répandue en altitude (> 800m) sur les Hauts‐Plateaux, tandis que les EACMV‐like sont plus fréquents en basse altitude (0‐200m) dans les zones côtières. Le clonage et le séquençage de 400 séquences nucléotidiques complètes ont confirmé la présence de six espèces de CMGs à Madagascar, ce qui en fait un haut lieu de la diversité des CMGs. Les analyses phylogénétiques et de recombinaison ont permis de montrer que l?espèce nouvellement décrite CMMGV est issue d?une recombinaison inter‐spécifique entre des CMGs et des bégomovirus apparentée aux bégomovirus caractérisés sur tomate dans les îles du sud ouest de l?océan Indien. D?autre part, une nouvelle espèce d?alphasatellite nommée Cassava mosaic Madagascar Alphasatellite (CMMGA) a également été décrite à partir d?un échantillon de manioc symptomatique. La séquence nucléotidique la plus proche est celle d?un isolat soudanais du Cotton leaf curl Gezira alphasatellite isolée sur coton (80% de similarité nucléotidique). L?occurrence du CMMGA dans les cultures de manioc malade du Nord de Madagascar amène à s?interroger sur son implication dans la pathogénicité des CMGs et l?expression des symptômes de la CMD.
 
Enfin, l'analyse phylogéographique de l'ACMV a révélé une seule introduction récente à Madagascar depuis le continent Africain (1993), suivie d'une large diffusion dans tout le pays. Comme nous avions observé que la contamination des plantes par la CMD est principalement causée par l'utilisation de boutures infectées (95%), il était intéressant d'évaluer si certains CMGs portaient des empreintes génétiques spécifiques de cette propagation. Alors que la diffusion de l?insecte vecteur explique mal la diversité génétique de l?ACMV, la distance spatiale et les activités humaines se révèlent être de bons estimateurs. Ces résultats soulèvent des questions sur les origines, les conséquences et les risques épidémiologiques d?une telle prévalence et diversité de CMGs à Madagascar, notamment face aux risques d'apparition de nouveaux variants sévères par recombinaison, et suggèrent la nécessité d?une intervention urgente grâce à la mise en oeuvre de stratégies de lutte.