La distribution et l'abondance des espèces benthiques intertidales sont contraintes par les conditions océaniques locales. En revanche, on connaît moins les flux de matière et d'énergie qui transitent à travers l'écosystème vers les niveaux supérieurs et leurs conséquences sur l'écologie des prédateurs.
Cette étude a été conduite sur les côtes sud de l'Afrique entre 2007 et 2010 et c'est intéressée à l'écologie alimentaire du principal prédateur des estrans rocheux sud-africains, l'huîtrier noir africain (Haematopus moquini), pendant ses périodes de reproduction et d'hivernage. Les littoraux sud-africains sont caractérisés par des contrastes de production primaire et d'assemblages intertidaux dus aux deux courants majeurs qui les longent. A l'est, le courant des Aiguilles est alimenté par des eaux chaudes et peu productives. A l'est, le courant du Benguela est caractérisé par une série de cellules d'upwelling côtières qui favorisent la production biologique et qui font de ce système l'un des plus productifs au monde. Il en résulte des contrastes de diversité spécifique et de biomasse en organismes intertidaux entre les deux systèmes océaniques. Le modèle d'étude est un oiseau limicole endémique et menacé, qui présente un polymorphisme favorable à la spécialisation alimentaire.
Ces travaux ont étudié l'effet des variations spatiales de structure de communautés benthiques sur l'écologie alimentaire de l'huîtrier à l'aide des isotopes stables du carbone et de l'azote. Les oiseaux répondent aux fluctuations qualitatives et quantitatives des communautés de proies à plusieurs échelles. A large échelle spatiale, les huîtriers montrent de forts contrastes entre les côtes ouest et sud-ouest où le régime alimentaire est dominé par les moules, notamment l'espèce invasive Mytilus galloprovincialis et le sud-est où un mélange de moules et patelles est consommé. Les résultats indiquent un comportement opportuniste d'alimentation et une adaptation aux assemblages de proies présents sur les estrans. De plus, l'espèce étant territoriale, il existe peu de changement dans l'alimentation des oiseaux entre les périodes de reproduction et d'hivernage. Ceci atteste également de la stabilité saisonnière des écosystèmes littoraux en termes de source de nutriments le long des côtes. Localement les individus montrent des différences faibles d'alimentation liées à l'abondance relative des moules et patelles et peu de ségrégation entre les sexes. Cela s'explique par le caractère généraliste de l'espèce et le relâchement de compétition intra-spécifique pour les ressources liée à l'abondance de nourriture conséquente à l'invasion des littoraux par la moule méditerranéenne. La transition alimentaire d'H. moquini vers une consommation quasi-exclusive à l'ouest d'une moule introduite et la multitude de comportements alimentaires ailleurs indiquent un fort potentiel d'adaptation aux modifications de son habitat d'alimentation. En revanche la dégradation des sites de nidification par l'Homme augmente la compétition pour l'espace et affecterait aujourd'hui le succès reproducteur de l'espèce. Ainsi sur certains sites, la capacité d'accueil serait atteinte. Finalement les perturbations liées aux activités humaines semblent être la principale menace à court terme pour la survie de l'espèce.